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Dans un petit village montagnard du sud de l'Italie, un sadique assassine des enfants. Des policiers et des journalistes mènent l'enquête...



La carrière du réalisateur italien Lucio Fulci a commencé en 1959, avec notamment toute une série de comédies et de parodies en tout genre. Mais, vers 1969, il commence à s'orienter nettement vers l'épouvante en suivant la mode du giallo (genre de thriller horrifique typiquement italien). Fulci réalise donc deux de ces thrillers à tendance érotique et violente : Perversion story (1969) et Carole (1970). Puis il commet Obsédé malgré lui (1971), comédie érotique mettant en scène un sénateur obsédé sexuel, tentant d'échapper à son vice grâce à la religion catholique ! Il retourne ensuite au giallo avec La longue nuit de l'exorcisme, bénéficiant d'un casting européen prestigieux : Florinda Bolkan (Les damnés (1969) de Luchino Visconti, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) de Rosi, Carole de Fulci, Flavia la défroquée (1974) de Gianfranco Mingozzi...) ; Barbara Bouchet (les giallos La tarentule au ventre noir (1972) de Paolo Cavara et La dame rouge tua sept fois (1972) de Emilio Miraglia...) ; Tomas Milian (Le travail (1962) de Luchino Visconti, Il était une fois en Arizona (1967) de Sergio Sollima, Traffic (2000) de Steven Soderbergh...) ; Marc Porel (Le clan des siciliens (1969) d'Henri Verneuil, L'innocent (1976) de Luchino Visconti, L'emmurée vivante (1977) de Lucio Fulci...) ; et même le grand comédien de théâtre Georges Wilson (L'étranger (1967) de Luchino Visconti...), qui dirigea le Théâtre National Populaire à Paris.
Par bien des aspects, La longue nuit de l'exorcisme évoque l'idée qu'on se fait traditionnellement du giallo, tel que ce genre a été codifié dans des oeuvres fondatrices comme L'oiseau au plumage de cristal de Dario Argento ou Six femmes pour l'assassin (1964) de Mario Bava. On retrouve la structure narrative habituelle à ce style : un tueur mystérieux commet une série de crimes très violents, tandis que la police se perd dans de nombreuses fausses pistes. Un goût certain pour l'érotisme et les belles femmes apparaît clairement, avec, entre autres, la fameuse séquence au cours de laquelle une femme nue et assez nymphomane séduit un très jeune garçon. On a encore une tendance très latine à appuyer les détails les plus sadiques. On assiste ainsi à une spectaculaire battue, au cours de laquelle des carabiniers guidés par des chiens-loups poursuivent une jeune femme. Dans la séquence la plus violente, une suspecte se fait tabasser à coup de chaîne, ce qui donne lieu à des effets spéciaux très gore, annonçant le Fulci de la fin des années 1970 (L'enfer des zombies (1979)...). Ces deux séquences descendent directement du premier western de Fulci, Le temps du massacre (1966), dans lequel un riche sadique organisait de sanglantes chasses à l'homme, et fouettait longtemps et très brutalement Franco Nero dans une inoubliable scène de tortures. Enfin, le titre original italien Non si sevizia un paperino (Ne torturez pas un caneton) reprend la mode lancée par Argento, et héritée des romans d'EdgarWallace et de leursadptations cinématographiques allemandes des années 1950, consistant à inclure des noms d'animaux dans les titres des giallos (L'oiseau au plumage de cristal d'Argento, La tarentule au ventre noir, La queue du scorpion (1971) de Sergio Martino...). En effet, il n'est question, dans ce film, ni de "longue nuit", ni d'"exorcisme", sauf dans l'imagination débridée et opportuniste du distributeur français souhaitant exploiter le succès mondial de L'exorciste (1973) de William Friedkin.

La longue nuit de l'exorcisme fait néanmoins preuve de beaucoup d'originalité, et sait tourner le dos aux clichés de son genre. Ainsi, le tueur ne s'en prend pas à de jolies jeunes filles isolées, mais à des enfants, déchaînant ainsi la haine de la populace outrée par ces crimes injustes et lâches. On est alors bien plus proche de M le maudit (1931) de Fritz Lang que d'un giallo classique tel que Six femmes pour l'assassin. Surtout, le cadre du récit est très inhabituel pour un thriller italien : l'action se situe dans un petit village pauvre et montagnard du sud de l'Italie, alors que ce style de film prend plus volontiers place dans le contexte urbain de grandes villes, telles que Rome ou Turin. Cette oeuvre bénéficie donc de superbes séquences tournées dans des extérieurs sauvages et dans le village, dont les murs blancs resplendissent sous un soleil méditerranéen implacable, tandis que les chants traditionnels des bergers résonnent. Le contexte social est par conséquent original : plutôt que des artistes, des journalistes ou des top models, on va suivre des enfants misérables, des paysans ou des ermites.

En fait, La longue nuit de l'exorcisme traite du choc entre l'Italie moderne, riche et urbaine, du nord, et celle, agricole, traditionnelle et misérable, du sud, reprenant ainsi le thème-clé de l'unité de l'Italie, problème déjà exploré, par exemple, dans le chef d'oeuvre de Luchino Visconti Rocco et ses frères (1960) (une famille d'émigrés du sud s'installe à Milan, où elle se désagrège). Ici, un autoroute passe, en l'ignorant, à quelques centaines de mètres du petit village, charriant les automobiles qui se rendent d'une grande ville à l'autre. De même, un riche industriel a bâti une demeure moderne et luxueuse dans le bourg rural, et sa fille s'y repose suite aux problèmes qu'elle a eu avec la justice. Pourtant, si ces deux mondes se côtoient, ils ne se comprennent jamais, et se méfient l'un de l'autre. La "sorcière" Martiara meurt au bord de l'autoroute sans qu'un automobilisme ne s'arrête pour lui venir en aide. Des deux côtés, on considère l'autre "bord" avec méfiance : pour les villageois, les gens du nord sont des débauchés, des oisifs et des gaspilleurs ; tandis que les citadins considèrent les paysans comme des incapables et des attardés.

Fulci peint un monde agricole plein de mystères, où la foi catholique et ses miracles se mêlent à la magie noire et aux légendes (cela fait d'ailleurs penser à Kaos, contes siciliens (1984) des frères Tavianni...). Le récit va stigmatiser les superstitions et les idées reçues : ainsi, les villageois en colère vont suspecter injustement des innocents, allant jusqu'à lyncher une prétendue sorcière. Fulci va ainsi jouer sur les idées reçues du spectateur qui, comme ces paysans, va aborder les personnages en s'appuyant sur des apparences trompeuses et des préjugés sociaux et sexuels (la sorcière, la riche nymphomane...) : cette méthode avait déjà été employée par Argento dans L'oiseau au plumage de cristal.

Le récit accorde une place importante à un prêtre bon et doux, interprété par Marc Porel. Les curés apparaissent rarement dans les giallos, et semblent plutôt réservés aux oeuvres réalistes de cinéastes italiens catholiques, tel Rome ville ouverte (1946) de Roberto Rossellini ou La messe est finie (1985) de Nanni Moretti. L'attitude de Fulci n'a jamais été portée sur l'indulgence en ce qui concerne l' Église (n'est-ce pas un prêtre qui déclenche la fin du monde dans son Frayeurs (1979) ?). Ce genre de personnage, habituellement positif dans le cinéma italien, est ici savoureusement détourné. Ce curé va tenter maladroitement de protéger ses ouailles contre les méfaits du monde moderne, en faisant interdire les revues érotiques, par exemple. Mais, très mal à l'aise face aux questions sexuelles et au monde moderne, il ne saura pas bien réagir face à la précocité sexuelle de certains de ses jeunes protégés, ce qui aura des conséquences certaines sur le déroulement tragique de ce drame criminel.

Certes, comme c'est souvent le cas dans ce genre de thriller, l'enquête se perd parfois un peu dans des fausses pistes. Mais, La longue nuit de l'exorcisme est un des plus beaux fleurons du giallo, à la fois très original et remarquablement construit (ce qui ne laisse pas d'étonner de la part de l'auteur de L'au-delà (1980), dont la narration était bien plus nonchalante !). Toutefois, il ne connaîtra pas le succès qu'il mérite, notamment à cause de graves problèmes avec la censure italienne : Fulci imputera ses déconvenues à un politicien italien qui se serait reconnu dans le personnage de la comédie Obsédé malgré lui, et qui aurait ainsi voulu se venger ! Fulci ne retournera au genre horrifique qu'en 1977, avec un autre giallo : L'emmurée vivante.

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